18 - La boîte à ouvrage - Les Malheurs de Sophie
Les Malheurs de Sophie
XVIII – La boîte à ouvrage.
Ecouter
Quand Sophie
voyait quelque chose qui lui faisait envie, elle le demandait. Si sa maman le
lui refusait, elle redemandait et redemandait jusqu'à ce que sa maman, ennuyée,
la renvoyât dans sa chambre. Alors, au lieu de n'y plus penser, elle y pensait
toujours et répétait:
«Comment faire pour avoir ce que je veux? J'en
ai si envie! Il faut que je tâche de l'avoir.»
Bien souvent, en tâchant de l'avoir, elle se
faisait punir; mais elle ne se corrigeait pas.
Un jour sa maman l'appela pour lui montrer une
charmante boîte à ouvrage que M. de Réan venait d'envoyer de Paris.
La boîte était en écaille avec de l'or; le dedans était doublé de velours bleu,
il y avait tout ce qu'il fallait pour travailler, et tout était en or; il y
avait un dé, des ciseaux, un étui, un poinçon, des bobines, un couteau, un canif,
de petites pinces, un passe-lacet. Dans un autre compartiment il y avait une
boîte à aiguilles, une boîte à épingles dorées, une provision de soies de
toutes couleurs, de fils de différentes grosseurs, de cordons, de rubans, etc.
Sophie se récria sur la beauté de la boîte:
«Comme tout cela est joli! dit-elle, et comme
c'est commode d'avoir tout ce qu'il faut pour travailler! Pour qui est cette
boîte, maman? ajouta Sophie en souriant, comme si elle avait été sûre que sa
maman répondrait: C'est pour toi.
C'est
à moi que ton papa l'a envoyée,» répondit Mme de Réan.
SOPHIE. – Quel dommage! J'aurais bien voulu l'avoir.
MADAME
DE RÉAN. – Eh bien! je te remercie! Tu es fâchée que
ce soit moi qui aie cette jolie boîte! C'est un peu égoïste.
SOPHIE. – Oh! maman, donnez-la-moi, je vous en prie.
MADAME
DE RÉAN. – Tu ne travailles pas encore assez bien pour
avoir une si jolie boîte. De plus tu n'as pas assez d'ordre. Tu ne rangerais
rien et tu perdrais tous les objets les uns après les autres.
SOPHIE. – Oh non! maman, je vous assure; j'en aurais bien soin.
MADAME
DE RÉAN. – Non, Sophie, n'y pense pas; tu es trop
jeune.
SOPHIE. – Je commence à très bien travailler, maman; j'aime beaucoup à
travailler.
MADAME
DE RÉAN. – En vérité! Et pourquoi es-tu toujours si
désolée quand je t'oblige à travailler?
SOPHIE, embarrassée. – C'est…, c'est… parce que je n'ai pas ce qu'il
me faut pour travailler. Mais, si j'avais cette boîte, je travaillerais avec un
plaisir…, oh! un plaisir…
MADAME
DE RÉAN. – Tâche de travailler avec plaisir sans la
boîte, c'est le moyen d'arriver à en avoir une.
SOPHIE. – Oh! maman, je vous en prie!
MADAME
DE RÉAN. – Sophie, tu m'ennuies. Je te prie de ne plus
songer à la boîte.
Sophie se tut; elle continua à regarder la
boîte, puis elle la redemanda à sa maman plus de dix fois. La maman, impatientée,
la renvoya dans le jardin.
Sophie ne joua pas, ne se promena pas; elle
resta assise sur un banc, pensant à la boîte et cherchant les moyens de l'avoir.
«Si je savais écrire, dit-elle, j'écrirais à
papa pour qu'il m'en envoie une toute pareille; mais… je ne sais pas écrire; et,
si je dictais la lettre à maman, elle me gronderait et ne voudrait pas l'écrire…
Je pourrais bien attendre que papa soit revenu; mais il faudrait attendre trop
longtemps et je voudrais avoir la boîte tout de suite…»
Sophie réfléchit, réfléchit longtemps; enfin
elle sauta de dessus son banc, frotta ses mains l'une contre l'autre et s'écria:
«J'ai trouvé, j'ai trouvé. La boîte sera à
moi.»
«Quand maman n'aura plus qu'une boîte vide, dit-elle,
elle voudra bien me la donner; et alors j'y remettrai tout, et la jolie boîte
sera à moi!»
Sophie, enchantée de cette espérance, ne pensa
même pas à se reprocher ce qu'elle avait fait; elle ne se demanda pas: «Que
dira maman? Qui accusera-t-elle d'avoir volé ses affaires? Que répondrai-je quand
on me demandera si c'est moi?» Sophie ne pensa à rien qu'au bonheur d'avoir la
boîte.
Toute la matinée se passa sans que la maman s'aperçût
du vol de Sophie; mais à l'heure du dîner, quand tout le monde se réunit au
salon, Mme de Réan dit aux personnes qu'elle avait invitées à dîner
qu'elle allait leur montrer une bien jolie boîte à ouvrage que M. de Réan
lui avait envoyée de Paris.
«Vous verrez, ajouta-t-elle, comme c'est
complet; tout ce qui est nécessaire pour travailler se trouve dans la boîte. Voyez
d'abord la boîte elle-même; comme elle est jolie!
– Charmante, répondit-on, charmante.»
Mme de Réan l'ouvrit. Quelle fut sa
surprise et celle des personnes qui l'entouraient, de trouver la boîte vide!
«Que signifie cela? dit-elle. Ce matin, tout y
était, et je ne l'ai pas touchée depuis.
– L'aviez-vous laissée au salon?» demanda une
des dames invitées.
MADAME
DE RÉAN. – Certainement, et sans la moindre inquiétude;
tous mes domestiques sont honnêtes et incapables de me voler.
Le cœur de Sophie battait avec violence
pendant cette conversation; elle se tenait cachée derrière tout le monde, rouge
comme un radis et tremblant de tous ses membres.
Mme de Réan, la cherchant des yeux
et ne la voyant pas, appela: «Sophie, Sophie, où es-tu?»
Comme Sophie ne répondait pas, les dames
derrière lesquelles elle était cachée, et qui la savaient là, s'écartèrent, et
Sophie parut dans un tel état de rougeur et de trouble, que chacun devina sans
peine que le voleur était elle-même.
«Approchez, Sophie», dit Mme de Réan.
Sophie s'avança d'un pas lent; ses jambes
tremblaient sous elle.
MADAME
DE RÉAN. – Où avez-vous mis les choses qui étaient
dans ma boîte?
SOPHIE, tremblante. – Je n'ai rien pris, maman, je n'ai rien caché.
MADAME
DE RÉAN. – Il est inutile de mentir, mademoiselle;
rapportez tout à la minute, si vous ne voulez pas être punie comme vous le
méritez.
SOPHIE, pleurant. – Mais, maman, je vous assure que je n'ai rien pris.
MADAME
DE RÉAN. – Suivez-moi, mademoiselle.
Et, comme Sophie restait sans bouger,
Mme de Réan lui prit la main et l'entraîna malgré sa résistance dans
le salon à joujoux. Elle se mit à chercher dans les tiroirs de la petite
commode, dans l'armoire de la poupée; ne trouvant rien, elle commençait à
craindre d'avoir été injuste envers Sophie, lorsqu'elle se dirigea vers la
petite table. Sophie trembla plus fort lorsque sa maman, ouvrant le tiroir, aperçut
tous les objets de sa boîte à ouvrage, que Sophie avait cachés là.
Sans rien dire, elle prit Sophie et la fouetta
comme elle ne l'avait jamais fouettée. Sophie eut beau crier, demander grâce, elle
reçut le fouet de la bonne manière, et il faut avouer qu'elle le méritait.
Mme de Réan vida le tiroir et
emporta tout ce qu'elle y avait trouvé, pour le remettre dans sa boîte, laissant
Sophie pleurer seule dans le petit salon.
Elle était si honteuse qu'elle n'osait plus
rentrer pour dîner; et elle fit bien, car Mme de Réan lui envoya sa
bonne pour l'emmener dans sa chambre, où elle devait dîner et passer la soirée.
Sophie pleura beaucoup et longtemps; la bonne, malgré ses gâteries habituelles,
était indignée et l'appelait voleuse.
«Il faudra que je ferme tout à clef, disait-elle,
de peur que vous ne me voliez. Si quelque chose se perd dans la maison, on
saura bien trouver le voleur et on ira tout droit fouiller dans vos tiroirs.»
Le lendemain, Mme de Réan fit
appeler Sophie.
«Écoutez, mademoiselle, lui dit-elle, ce que m'écrivait
votre papa en m'envoyant la boîte à ouvrage.»
«Ma chère amie, je viens d'acheter une
charmante boîte à ouvrage que je vous envoie. Elle est pour Sophie, mais ne le
lui dites pas et ne la lui donnez pas encore. Que ce soit la récompense de huit
jours de sagesse. Faites-lui voir la boîte, mais ne lui dites pas que je l'ai
achetée pour elle. Je ne veux pas qu'elle soit sage par intérêt, pour gagner un
beau présent; je veux qu'elle le soit par un vrai désir d'être bonne…»
«Vous voyez, continua Mme de Réan, qu'en
me volant, vous vous êtes volée vous-même. Après ce que vous avez fait, vous
auriez beau être sage pendant des mois, vous n'aurez jamais cette boîte. J'espère
que la leçon vous profitera et que vous ne recommencerez pas une action si
mauvaise et si honteuse.»
Sophie pleura encore, supplia sa maman de lui
pardonner. La maman finit par y consentir, mais elle ne voulut jamais lui
donner la boîte; plus tard elle la donna à la petite Élisabeth Chéneau, qui
travaillait à merveille et qui était d'une sagesse admirable.
Quand le bon, l'honnête petit Paul apprit ce
qu'avait fait Sophie, il en fut si indigné qu'il fut huit jours sans vouloir
aller chez elle. Mais, quand il sut combien elle était affligée et repentante, et
combien elle était honteuse d'être appelée voleuse, son bon cœur souffrit pour
elle; il alla la voir; au lieu de la gronder, il la consola et lui dit:
«Sais-tu, ma pauvre Sophie, le moyen de faire
oublier ton vol? C'est d'être si honnête, qu'on ne puisse pas même te
soupçonner à l'avenir.»
Sophie
lui promit d'être très honnête, et elle tint parole.
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