6 - L’abeille - Les Malheurs de Sophie
Les Malheurs de Sophie
VI – L’abeille.
Ecouter
Sophie et
son cousin Paul jouaient un jour dans leur chambre; ils s’amusaient à attraper
des mouches qui se promenaient sur les carreaux de la fenêtre; à mesure qu'ils en attrapaient, ils les mettaient dans une petite boîte en papier que leur
avait faite leur papa.
Quand ils en eurent attrapé beaucoup, Paul
voulut voir ce qu'elles faisaient dans la boîte.
«Donne-moi la boîte, dit-il à Sophie qui la
tenait; nous allons regarder ce que font les mouches.»
Sophie la lui donna; ils entrouvrirent avec
beaucoup de précaution la petite porte de la boîte. Paul mit son œil contre
l’ouverture et s’écria:
«Ah! que c’est drôle! comme elles remuent!
elles se battent; en voilà une qui arrache une patte à son amie… les autres
sont en colère… Oh! comme elles se battent! en voilà quelques-unes qui tombent!
les voilà qui se relèvent…
– Laisse-moi regarder à mon tour, Paul», dit
Sophie.
Paul ne répondit pas et continua à regarder et
à raconter ce qu'il voyait.
Sophie s’impatientait; elle prit un coin de la
boîte et tira tout doucement; Paul tira de son côté; Sophie se fâcha et tira un
peu plus fort; Paul tira plus fort encore; Sophie donna une telle secousse à la
boîte, qu'elle la déchira. Toutes les mouches s’élancèrent dehors et se
posèrent sur les yeux, sur les joues, sur le nez de Paul et de Sophie, qui les
chassaient en se donnant de grandes tapes.
«C’est ta faute, disait Sophie à Paul; si tu
avais été plus complaisant, tu m’aurais donné la boîte et nous ne l’aurions pas
déchirée.
– Non, c’est ta faute, répondait Paul; si tu
avais été moins impatiente, tu aurais attendu la boîte et nous l’aurions
encore.»
SOPHIE. – Tu es égoïste, tu ne penses qu’à toi.
PAUL. – Et toi, tu es colère comme les dindons de la ferme.
SOPHIE. – Je ne suis pas colère du tout, monsieur; seulement je trouve que
vous êtes méchant.
PAUL. – Je ne suis pas méchant, mademoiselle; seulement je vous dis la
vérité, et c’est pourquoi vous êtes rouge de colère comme les dindons avec
leurs crêtes rouges.
SOPHIE. – Je ne veux plus jouer avec un méchant garçon comme vous, monsieur.
PAUL. – Moi non plus, je ne veux pas jouer avec une méchante fille comme
vous, mademoiselle.
Et tous deux allèrent bouder chacun dans son
coin. Sophie s’ennuya bien vite, mais elle voulut faire croire à Paul qu’elle
s’amusait beaucoup; elle se mit donc à chanter et à attraper encore des mouches;
mais il n’y en avait plus beaucoup, et celles qui restaient ne se laissaient
pas prendre. Tout à coup elle aperçoit avec joie une grosse abeille qui se
tenait bien tranquille dans un petit coin de la fenêtre. Sophie savait que les
abeilles piquent; aussi ne chercha-t-elle pas à la prendre avec ses doigts;
elle tira son mouchoir de sa poche, le posa sur l’abeille et la saisit avant
que la pauvre bête eût eu le temps de se sauver.
Paul, qui s’ennuyait de son côté, regardait
Sophie et la vit prendre l’abeille.
«Que vas-tu faire de cette bête?» lui
demanda-t-il.
SOPHIE, avec rudesse. – Laisse-moi tranquille, méchant, cela ne te
regarde pas.
PAUL, avec ironie. – Pardon, mademoiselle la furieuse, je vous
demande bien pardon de vous avoir parlé et d’avoir oublié que vous étiez mal
élevée et impertinente.
SOPHIE, faisant une révérence moqueuse. – Je dirai à maman, monsieur, que
vous me trouvez mal élevée; comme c’est elle qui m’élève, elle sera bien
contente de le savoir.
PAUL, avec inquiétude. – Non, Sophie, ne lui dis pas: on me
gronderait.
SOPHIE. – Oui, je le lui dirai; si l’on te gronde, tant mieux; j’en serai bien
contente.
PAUL. – Méchante, va! je ne veux plus te dire un mot.
Et Paul retourna sa chaise pour ne pas voir
Sophie, qui était enchantée d’avoir fait peur à Paul et qui recommença à
s’occuper de son abeille. Elle leva tout doucement un petit coin du mouchoir, serra
un peu l’abeille entre ses doigts à travers le mouchoir, pour l’empêcher de
s’envoler, et tira de sa poche son petit couteau.
«Je vais lui couper la tête, se dit-elle, pour
la punir de toutes les piqûres qu’elle a faites.»
En effet, Sophie posa l’abeille par terre en
la tenant toujours à travers le mouchoir, et d’un coup de couteau elle lui
coupa la tête; puis, comme elle trouva que c’était très amusant, elle continua
de la couper en morceaux.
Elle était si occupée de l’abeille, qu’elle
n’entendit pas entrer sa maman, qui, la voyant à genoux et presque immobile, s’approcha
tout doucement pour voir ce qu’elle faisait; elle la vit coupant la dernière
patte de la pauvre abeille.
Indignée de la cruauté de Sophie,
Mme de Réan lui tira fortement l’oreille.
Sophie poussa un cri, se releva d’un bond et
resta tremblante devant sa maman.
«Vous êtes une méchante fille, mademoiselle, vous
faites souffrir cette bête malgré ce que je vous ai dit quand vous avez salé et
coupé mes pauvres petits poissons…»
SOPHIE. – J’ai oublié, maman, je vous assure.
Sophie
eut beau prier, supplier sa maman de ne pas lui faire porter l’abeille en
collier, la maman appela la bonne, se fit apporter un ruban noir, enfila les
morceaux de l’abeille et les attacha au cou de Sophie. Paul n’osait rien dire;
il était consterné; quand Sophie resta seule, sanglotant et honteuse de son
collier, Paul chercha à la consoler par tous les moyens possibles; il
l’embrassait, lui demandait pardon de lui avoir dit des sottises, et voulait
lui faire croire que les couleurs jaune, orange, bleue et noire de l’abeille
faisaient un très joli effet et ressemblaient à un collier de jais et de
pierreries. Sophie le remercia de sa bonté; elle fut un peu consolée par
l’amitié de son cousin; mais elle resta très chagrine de son collier. Pendant
une semaine, les morceaux de l’abeille restèrent entiers; mais enfin, un beau
jour, Paul, en jouant avec elle, les écrasa si bien qu’il ne resta plus que le
ruban. Il courut en prévenir sa tante, qui lui permit d’ôter le cordon noir. Ce
fut ainsi que Sophie en fut débarrassée, et depuis elle ne fit jamais souffrir
aucun animal.
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