17 - Le chat et le bouvreuil - Les Malheurs de Sophie
Les Malheurs de Sophie
XVII – Le chat et le bouvreuils.
Ecouter
Sophie et
Paul se promenaient un jour avec leur bonne; ils revenaient de chez une pauvre
femme à laquelle ils avaient été porter de l'argent. Ils revenaient tout
doucement; tantôt ils cherchaient à grimper à un arbre, tantôt ils passaient au
travers des haies et se cachaient dans les buissons. Sophie était cachée et
Paul la cherchait, lorsqu'elle entendit un tout petit miaou bien faible, bien plaintif. Sophie eut peur; elle sortit
de sa cachette.
«Paul, dit-elle, appelons ma bonne; j'ai
entendu un petit cri, comme un chat qui miaule, tout près de moi, dans le
buisson.»
PAUL. – Pourquoi faut-il appeler ta bonne pour cela? Allons voir nous-mêmes
ce que c'est.
SOPHIE. – Oh non! j'ai peur.
PAUL, riant. – Peur! et de quoi? Tu dis toi-même que c'était un
petit cri. Ce n'est donc pas une grosse bête.
SOPHIE. – Je ne sais pas; c'est peut-être un serpent, un jeune loup.
PAUL, riant. – Ha! ha! ha! Un serpent qui crie! C'est nouveau, cela!
Et un jeune loup qui pousse un si petit cri, que moi, qui étais tout près de
toi, je ne l'ai pas entendu!
SOPHIE. – Voilà le même cri! Entends-tu?
Paul écouta et entendit en effet un petit miaou bien faible qui sortait du
buisson. Il y courut malgré les prières de Sophie.
«C'est un pauvre petit chat qui a l'air malade,
s'écria-t-il après avoir cherché quelques instants. Viens voir comme il paraît
misérable.»
Sophie accourut; elle vit un tout petit chat
tout blanc, mouillé de rosée et taché de boue, qui était étendu tout près de la
place où elle s'était cachée.
«Il faut appeler ma bonne, dit Sophie, pour qu'elle
l'emporte; pauvre petit, comme il tremble.
– Et comme il est maigre!» dit Paul. Ils
appelèrent la bonne, qui les suivait de loin. Quand elle les rejoignit, ils lui
montrèrent le petit chat et lui demandèrent de l'emporter.
SOPHIE. – Eh bien, ma bonne, mettez-le dans des feuilles.
PAUL. – Ou plutôt dans mon mouchoir; il sera bien mieux.
SOPHIE. – C'est cela! Essuyons-le avec mon mouchoir, et couchons-le dans le
tien; ma bonne l'emportera.
La bonne les aida à arranger le petit chat, qui
n'avait pas la force de remuer; quand il fut bien enveloppé dans le mouchoir, la
bonne le prit, et tous se dépêchèrent d'arriver à la maison pour lui donner du
lait chaud.
Ils n'étaient pas loin de la maison, et ils
furent bientôt arrivés. Sophie et Paul coururent en avant, à la cuisine.
«Donnez-nous bien vite une tasse de lait chaud,
dit Sophie à Jean, le cuisinier.
– Pour quoi faire, mademoiselle? répondit
Jean.
– Pour un pauvre petit chat que nous avons
trouvé dans une haie et qui est presque mort de faim. Le voici; ma bonne l'apporte
dans un mouchoir.»
La bonne posa le mouchoir par terre; le
cuisinier apporta une assiettée de lait chaud au petit chat, qui se jeta dessus
et avala tout sans en laisser une goutte.
«J'espère que le voilà content, dit la bonne.
Il a bu plus de deux verres de lait.»
SOPHIE. – Ah! le voilà qui se relève! Il lèche ses poils.
PAUL. – Si nous l'emportions dans notre chambre?
LE CUISINIER. –
Moi, monsieur et mademoiselle, je vous conseillerais de le laisser dans la
cuisine, d'abord parce qu'il se séchera mieux dans la cendre chaude, ensuite
parce qu'il aura à manger ici tant qu'il voudra; enfin parce qu'il pourra
sortir quand il en aura besoin, et qu'il apprendra ainsi à être propre.
PAUL. – C'est vrai. Laissons-le à la cuisine, Sophie.
SOPHIE. – Mais il sera toujours à nous et je le verrai tant que je voudrai?
LE CUISINIER. –
Certainement, mademoiselle, vous le verrez quand vous voudrez. Ne sera-t-il pas
à vous tout de même?
Il prit le chat, et le posa sur de la cendre
chaude, sous le fourneau. Les enfants le laissèrent dormir et recommandèrent
bien au cuisinier de lui mettre du lait près de lui pour qu'il pût en boire
toutes les fois qu'il aurait faim.
SOPHIE. – Comment appellerons-nous notre chat?
PAUL. – Appelons-le Chéri.
SOPHIE. – Oh non! C'est commun. Appelons-le plutôt Charmant.
PAUL. – Et si en grandissant il devient laid?
SOPHIE. – C'est vrai. Comment l'appeler alors? Il faut bien pourtant qu'il ait
un nom.
PAUL. – Sais-tu ce qui serait un très joli nom? Beau-Minon.
SOPHIE. – Ah oui! Comme dans le conte de Blondine. C'est vrai:
appelons-le Beau-Minon. Je demanderai à maman de lui faire un petit collier et
de broder tout autour Beau-Minon.
Et les enfants coururent chez Mme de Réan
pour lui raconter l'histoire du petit chat et pour lui demander un collier. La
maman alla voir le chat et prit la mesure de son cou.
«Je ne sais pas si ce pauvre chat pourra vivre,
dit-elle, il est si maigre et si faible qu'il peut à peine se tenir sur ses
pattes.»
PAUL. – Mais comment s'est-il trouvé dans la haie? Les chats ne vivent pas
dans les bois.
MADAME
DE RÉAN. – Ce sont peut-être de méchants enfants qui l'ont
emporté pour jouer, et l'auront jeté ensuite dans la haie, pensant qu'il
pourrait revenir dans sa maison tout seul.
SOPHIE. – Pourquoi aussi n'est-il pas revenu? C'est bien sa faute s'il a été
malheureux.
MADAME
DE RÉAN. – Il est trop jeune pour avoir pu retrouver
son chemin; et puis, il vient peut-être de très loin. Si de méchants hommes t'emmenaient
très loin et te laissaient au coin d'un bois, que ferais-tu? Crois-tu que tu
pourrais retrouver ton chemin toute seule?
SOPHIE. – Oh! je ne serais pas embarrassée! Je marcherais toujours jusqu'à ce
que je rencontre quelqu'un ou que je voie une maison; alors je dirais comment
je m'appelle et je demanderais qu'on me ramenât.
SOPHIE. – Mais pourquoi a-t-il été dans ce buisson pour y mourir de faim?
MADAME
DE RÉAN. – Les mauvais garçons l'ont peut-être jeté là
après l'avoir battu. D'ailleurs il n'a pas été si bête d'être resté là, puisque
vous avez passé auprès et que vous l'avez sauvé.
PAUL. – Quant à cela, ma tante, il ne pouvait pas deviner que nous
passerions par là.
MADAME
DE RÉAN. – Lui, non; mais le bon Dieu, qui le savait, l'a
permis afin de vous donner l'occasion d'être charitables, même pour un animal.
Sophie et Paul, qui étaient impatients de
revoir leur chat, ne dirent plus rien et retournèrent à la cuisine, où ils
trouvèrent Beau-Minon profondément endormi sur la cendre chaude. Le cuisinier
avait mis près de lui une petite jatte de lait; il n'y avait donc rien à faire
pour lui, et les enfants allèrent jouer dans leur petit jardin.
Beau-Minon ne mourut pas; en peu de jours il
redevint fort, bien portant et gai. À mesure qu'il grandissait, il devenait
plus beau; ses longs poils blancs étaient doux et soyeux; ses grands yeux noirs
étaient brillants comme des soleils; son nez rose lui donnait un petit air
gentil et enfantin. C'était un vrai chat angora de la plus belle espèce. Sophie
l'aimait beaucoup; Paul, qui venait très souvent passer quelques jours avec
Sophie, l'aimait bien aussi. Beau-Minon était le plus heureux des chats. Il
avait un seul défaut, qui désolait Sophie: il était cruel pour les oiseaux.
Aussitôt qu'il était dehors, il grimpait aux arbres pour chercher des nids et
pour manger les petits qu'il y trouvait. Quelquefois même il avait mangé les
pauvres mamans oiseaux qui cherchaient à défendre leurs petits contre le méchant
Beau-Minon. Quand Sophie et Paul le voyaient grimper aux arbres, ils faisaient
ce qu'ils pouvaient pour le faire descendre; mais Beau-Minon ne les écoutait
pas, et continuait tout de même à grimper et à manger les petits oiseaux. On
entendait alors des cuic, cuic plaintifs.
Lorsque Beau-Minon descendait de l'arbre, Sophie
lui donnait de grands coups de verges: mais il trouva moyen de les éviter en
restant si longtemps tout en haut de l'arbre, que Sophie ne pouvait pas l'atteindre.
D'autres fois, quand il était arrivé à moitié de l'arbre, il s'élançait, sautait
à terre et se sauvait à toutes jambes avant que Sophie eût pu l'attraper.
«Prends garde, Beau-Minon! lui disaient les
enfants. Le bon Dieu te punira de ta méchanceté. Il t'arrivera malheur un jour.»
Beau-Minon ne les écoutait pas.
Un jour Mme de Réan apporta dans le
salon un charmant oiseau, dans une belle cage toute dorée.
«Voyez, mes enfants, quel joli bouvreuil m'a
envoyé un de mes amis. Il chante parfaitement.»
SOPHIE et PAUL, ensemble.
– Oh! que je voudrais l'entendre!
MADAME
DE RÉAN. – Je vais le faire chanter; mais n'approchez
pas trop, pour ne pas l'effrayer… Petit, petit, continua Mme de Réan
en parlant au bouvreuil, chante, mon ami; chante, petit, chante.»
Le bouvreuil commença à se balancer, à pencher
sa tête à droite et à gauche, et puis il se mit à siffler l'air: Au clair de
la lune. Quand il eut fini, il siffla: J'ai du bon tabac, puis: Le
bon roi Dagobert.
Les enfants l'écoutaient sans bouger; ils
osaient à peine respirer, pour ne pas faire peur au bouvreuil. Quand il eut
fini, Paul s'écria:
«Oh! ma tante, comme il chante bien! Quelle
petite voix douce! Je voudrais l'entendre toujours!
Nous le ferons recommencer après dîner, dit Mme de Réan;
à présent il est fatigué, il arrive de voyage; donnons-lui à manger. Allez au
jardin, mes enfants, rapportez-moi du mouron et du plantain; le jardinier vous
montrera où il y en a.»
Les enfants
coururent au potager et rapportèrent une telle quantité de mouron qu'on aurait
pu y enterrer toute la cage. Leur maman leur dit de n'en cueillir qu'une petite
poignée une autre fois, et ils en mirent dans la cage du bouvreuil, qui
commença tout de suite à le becqueter.
«Allons dîner à présent, mes enfants, dit Mme de Réan,
vos papas nous attendent.»
Pendant le dîner, on parla beaucoup du joli
bouvreuil.
«Quelle belle tête noire il a! dit Sophie.
Et quel joli ventre rouge! dit Paul.
Et comme il chante bien! dit Mme de Réan.
Il faudra lui faire chanter tous ses airs», dit
M. de Réan.
Mme de Réan et les enfants, qui
couraient après M. de Réan, après le chat et après le bouvreuil, arrivèrent
au moment de la dernière convulsion de Beau-Minon.
«Beau-Minon, mon pauvre Beau-Minon! s'écria
Sophie.
Le bouvreuil, le pauvre bouvreuil! s'écria
Paul.
Mon ami, qu'avez-vous fait? s'écria Mme de Réan.
– J'ai puni
le coupable, mais je n'ai pu sauver l'innocent, répondit M. de Réan.
Le bouvreuil est mort étouffé par le méchant Beau-Minon, qui ne tuera plus
personne, puisque je l'ai tué sans le vouloir.»
Sophie n'osait rien dire, mais elle pleura
amèrement son pauvre chat, qu'elle aimait malgré ses défauts.
«Je lui
avais bien dit, disait-elle à Paul, que le bon Dieu le punirait de sa
méchanceté pour les oiseaux. Hélas! pauvre Beau-Minon! te voilà mort, et par ta
faute!»
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