11 - L'écureuil - Les Malheurs de Sophie
Les Malheurs de Sophie
XI – L'écureuil.
Ecouter
Un jour
Sophie se promenait avec son cousin Paul dans le petit bois de chênes qui était
tout près du château; ils cherchaient tous deux des glands pour en faire des
paniers, des sabots, des bateaux. Tout à coup Sophie sentit un gland qui lui
tombait sur le dos; pendant qu'elle se baissait pour le ramasser, un autre
gland vint lui tomber sur le bout de l'oreille.
LA BONNE. – En vérité, je plains le pauvre animal; vous le laisserez bientôt
mourir de faim.
LA BONNE , d'un
air moqueur. – Voilà un écureuil qui sera bien nourri! Le sucre lui gâtera
les dents, et le vin l'enivrera.
LA BONNE. – Nous verrons cela. Je vais d'abord lui apporter du foin, pour qu'il
puisse se coucher. Il a l'air tout effaré: je ne crois pas qu'il soit content
de s'être laissé prendre.
LA BONNE. – Voyons, mes enfants, au lieu de vous disputer, avouez que vous avez
agi tous deux sans réflexion et que vous êtes tous deux coupables de la mort de
l'écureuil. Pauvre bête! il est plus heureux que s'il était resté vivant, car
il ne souffre plus, du moins. Je vais appeler quelqu'un pour qu'on l'emporte et
qu'on le jette dans quelque fossé, et vous, Sophie, montez dans votre chambre
et trempez votre doigt dans l'eau; je vais vous y rejoindre.
Sophie s'en alla suivie de Paul, qui était un
bon petit garçon, sans rancune, de sorte qu'au lieu de bouder il aida Sophie à
verser de l'eau dans une cuvette et à y tremper sa main. Quand la bonne monta, elle
enveloppa le doigt de Sophie de quelques feuilles de laitue et d'un petit
chiffon. Les enfants étaient un peu honteux, en rentrant au salon pour dîner, d'avoir
à raconter la fin de leur aventure de l'écureuil.
Les papas
et les mamans se moquèrent d'eux. La cage de l'écureuil fut reportée au
grenier. Le doigt de Sophie lui fit mal encore pendant quelques jours, après
lesquels elle ne pensa plus à l'écureuil que pour se dire qu'elle n'en aurait
jamais.
«Paul, Paul, dit-elle, viens donc voir ces
glands qui sont tombés sur moi: ils sont rongés. Qui est-ce qui a pu les ronger
là-haut? les souris ne grimpent pas aux arbres, et les oiseaux ne mangent pas
de glands.»
Paul prit les glands, les regarda; puis il
leva la tête et s'écria:
«C'est un écureuil; je le vois; il est tout en
haut sur une branche; il nous regarde comme s'il se moquait de nous.»
Sophie regarda en l'air et vit un joli petit
écureuil, avec une superbe queue relevée en panache. Il se nettoyait la figure
avec ses petites pattes de devant; de temps en temps il regardait Sophie et
Paul, faisait une gambade et sautait sur une autre branche.
«Que je voudrais avoir cet écureuil! dit
Sophie. Comme il est gentil et comme je m'amuserais à jouer avec lui, à le
mener promener, à le soigner.»
PAUL. – Ce ne serait pas difficile de l'attraper: mais les écureuils sentent
mauvais dans une chambre, et puis ils rongent tout.
SOPHIE. – Oh! je l'empêcherais bien de ronger, parce que j'enfermerais toutes
mes affaires; et il ne sentirait pas mauvais, parce que je nettoierais sa cage
deux fois par jour. Mais comment ferais-tu pour le prendre?
PAUL. – J'aurais une cage un peu grande; je mettrais dedans des noix, des
noisettes, des amandes, tout ce que les écureuils aiment le mieux, j'apporterais
la cage près de ce chêne; je laisserais la porte ouverte; j'y attacherais une
ficelle; je me cacherais tout près de l'arbre, et, quand l'écureuil entrerait
dans la cage pour manger, je tirerais la ficelle pour fermer la porte, et l'écureuil
serait pris.
SOPHIE. – Mais l'écureuil ne voudra peut-être pas entrer dans la cage; cela
lui fera peur.
PAUL. – Oh! il n'y a pas de danger: les écureuils sont gourmands, il ne
résistera pas aux amandes et aux noix.
SOPHIE. – Attrape-le-moi, je t'en prie, mon cher Paul; je serai si contente!
PAUL. – Mais ta maman, que dira-t-elle? elle ne voudra peut-être pas.
SOPHIE. – Elle le voudra; nous le lui demanderons tant et tant, tous les deux,
qu'elle consentira.
Les deux enfants coururent à la maison; Paul
se chargea d'expliquer l'affaire à Mme de Réan, qui refusa d'abord, mais
qui finit par consentir en disant à Sophie:
«Je te préviens que ton écureuil t'ennuiera bientôt:
il grimpera partout; il rongera tes livres, tes joujoux; il sentira mauvais, il
sera insupportable.»
SOPHIE. – Oh non! maman; je vous promets de le si bien garder, qu'il ne gâtera
rien.
MADAME
DE RÉAN. – Je ne veux pas de ton écureuil au salon ni
dans ma chambre, d'abord; tu le garderas toujours dans la tienne.
SOPHIE. – Oui, maman, il restera chez moi, excepté quand je le mènerai
promener.
Sophie et Paul coururent tout joyeux chercher
une cage; ils en trouvèrent une au grenier, qui avait servi jadis à un
écureuil. Ils l'emportèrent, la nettoyèrent avec l'aide de la bonne, et mirent
dedans des amandes fraîches, des noix et des noisettes.
SOPHIE. – À présent, allons vite porter la cage sous le chêne. Pourvu que l'écureuil
y soit encore!
PAUL. – Attends que j'attache une ficelle à la porte. Il faut que je la
passe dans les barreaux, pour que la porte se ferme quand je tirerai.
SOPHIE. – J'ai peur que l'écureuil ne soit parti.
PAUL. – Non; il va rester là ou tout auprès jusqu'à la nuit. Là, … c'est
fini; tire la ficelle, pour voir si c'est bien.
Sophie tira, la porte se referma tout de
suite. Les enfants, enchantés, allèrent porter la cage dans le petit bois;
arrivés près du chêne, ils regardèrent si l'écureuil y était; ils ne virent
rien; ni les feuilles ni les branches ne remuaient. Les enfants, désolés, allaient
chercher sous d'autres chênes, lorsque Sophie reçut sur le front un gland rongé
comme ceux du matin.
«Il y est, il y est! s'écria-t-elle. Le voilà;
je vois le bout de sa queue qui sort derrière cette branche touffue.»
En effet, l'écureuil, entendant parler, avança
sa petite tête pour voir ce qui se passait.
«C'est bien, mon cher ami, dit Paul. Te voilà:
tu seras bientôt en prison. Tiens, voilà des provisions que nous t'apportons;
sois gourmand, mon ami, sois gourmand; tu verras comme on est puni de la
gourmandise.»
Le pauvre écureuil, qui ne s'attendait pas à
devenir un malheureux prisonnier, regardait d'un air moqueur, en faisant aller
sa tête de droite et de gauche. Il vit la cage que Paul posait à terre, et jeta
un œil d'envie sur les amandes et les noix. Quand les enfants se furent cachés
derrière le tronc du chêne, il descendit deux ou trois branches, s'arrêta, regarda
de tous côtés, descendit encore un peu, et continua ainsi à descendre petit à
petit, jusqu'à ce qu'il fût sur la cage. Il passa une patte à travers les
barreaux, puis l'autre; mais, comme il ne pouvait rien attraper et que les
amandes lui paraissaient de plus en plus appétissantes, il chercha le moyen d'entrer
dans la cage, et il ne fut pas longtemps à trouver la porte; il s'arrêta à l'entrée,
regarda la ficelle d'un air méfiant, allongea encore une patte pour atteindre
les amandes ou les noix: mais, ne pouvant y parvenir, il se hasarda enfin à
entrer dans la cage. À peine y fut-il, que les enfants, qui regardaient du coin
de l'œil et qui avaient suivi avec un battement de cœur les mouvements de l'écureuil,
tirèrent la ficelle, et l'écureuil fut pris. La frayeur lui fit jeter l'amande
qu'il commençait à grignoter, et il se mit à tourner autour de la cage pour s'échapper.
Hélas! le pauvre petit animal devait payer cher sa gourmandise et rester
prisonnier!
Les enfants se précipitèrent sur la cage; Paul ferma soigneusement la porte et emporta la cage dans la chambre de Sophie. Elle courait en avant et appela sa bonne d'un air triomphant pour lui faire voir son nouvel ami.
Les enfants se précipitèrent sur la cage; Paul ferma soigneusement la porte et emporta la cage dans la chambre de Sophie. Elle courait en avant et appela sa bonne d'un air triomphant pour lui faire voir son nouvel ami.
La bonne ne fut pas contente de ce petit
élève.
«Que ferons-nous de cet animal? dit-elle. Il
va nous mordre et nous faire un bruit insupportable. Quelle idée avez-vous eue,
Sophie, de nous embarrasser de cette vilaine bête.»
SOPHIE. – D'abord, ma bonne, elle n'est pas vilaine: l'écureuil est une très
jolie bête. Ensuite il ne fera pas de bruit du tout et il ne nous mordra pas. C'est
moi qui le soignerai.
SOPHIE, avec indignation. – Mourir de faim! certainement non; je lui
donnerai des noisettes, des amandes, du pain, du sucre, du vin.
PAUL, riant. – Ha! ha! ha! un écureuil ivre! ce sera bien drôle.
SOPHIE. – Pas du tout, monsieur; mon écureuil ne sera pas ivre. Il sera très
raisonnable.
SOPHIE. – Je vais le caresser pour l'habituer à moi et pour lui faire voir qu'on
ne lui fera pas de mal.
Sophie passa sa main dans la cage: l'écureuil,
effrayé, se sauva dans un coin. Sophie allongea la main pour le saisir: au
moment où elle allait le prendre, l'écureuil lui mordit le doigt. Sophie se mit
à crier et retira promptement sa main pleine de sang. La porte restant ouverte,
l'écureuil se précipita hors de sa cage et se mit à courir dans la chambre. La
bonne et Paul coururent après; mais, quand ils croyaient l'avoir attrapé, l'écureuil
faisait un saut, s'échappait, et continuait à galoper dans la chambre; Sophie, oubliant
son doigt qui saignait, voulut les aider. Ils continuèrent leur chasse pendant
une demi-heure; l'écureuil commençait à être fatigué et il allait être pris, lorsqu'il
aperçut la fenêtre qui était restée ouverte: aussitôt il s'élança dessus, grimpa
le long du mur en dehors de la fenêtre, et se trouva sur le toit.
Sophie, Paul et la bonne descendirent au
jardin en courant; levant la tête, ils aperçurent l'écureuil perché sur le toit,
à moitié mort de fatigue et de peur.
«Que faire, ma bonne, que faire? s'écria
Sophie.
– Il faut le laisser, dit la bonne. Vous voyez
bien qu'il vous a déjà mordue.»
SOPHIE. – C'est parce qu'il ne me connaît pas encore, ma bonne; mais, quand il
verra que je lui donne à manger, il m'aimera.
PAUL. – Je crois qu'il ne t'aimera jamais, parce qu'il est trop vieux pour s'habituer
à rester enfermé. Il aurait fallu en avoir un tout jeune.
SOPHIE. – Oh! Paul, jette-lui des balles, je t'en prie, pour le faire
descendre. Nous le rattraperons et nous le renfermerons.
PAUL. – Je veux bien, mais je ne crois pas qu'il veuille descendre.
Et voilà Paul qui va chercher un gros ballon
et qui le lance si adroitement qu'il attrape l'écureuil à la tête. Le ballon
descend en roulant, et après lui le pauvre écureuil; tous deux tombent à terre;
le ballon bondit et rebondit, mais l'écureuil se brise en touchant à terre et
reste mort, la tête ensanglantée, les reins et les pattes cassés. Sophie et
Paul courent pour le ramasser et restent stupéfaits devant le pauvre animal
mort.
«Méchant Paul, dit Sophie, tu as fait mourir
mon écureuil.»
PAUL. – C'est ta faute, pourquoi as-tu voulu que je le fisse descendre en
lui lançant des balles?
SOPHIE. – Il fallait seulement lui faire peur et non le tuer.
PAUL. – Mais je n'ai pas voulu le tuer; le ballon l'a attrapé, je ne croyais
pas être si adroit.
SOPHIE. – Tu n'es pas adroit, tu es méchant. Va-t'en, je ne t'aime plus du
tout.
PAUL. – Et moi, je te déteste. Tu es plus sotte que l'écureuil. Je suis
enchanté de t'avoir empêchée de le tourmenter.
SOPHIE. – Vous êtes un mauvais garçon, monsieur. Je ne jouerai jamais avec
vous: je ne vous demanderai jamais rien.
PAUL. – Tant mieux, mademoiselle: je ne serai que plus tranquille, et je n'aurai
plus à me creuser la tête pour vous aider à faire des sottises.
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